Voici mon point de vue sur un livre qui mâa paru un peu difficile aux dĂ©buts mais finalement passionnant et trĂšs enrichissant.
Câest effectivement une Ă©criture dense et rigoureusement construite, appuyĂ©e par de nombreuses rĂ©fĂ©rences mais en fait concise et riche, ce dont je nâai pas forcĂ©ment lâhabitude, qui a requis toute mon attention. Comme vous avez peut ĂȘtre remarquĂ©, ma derniĂšre lecture date dâun petit moment, voilĂ peut ĂȘtre pourquoi jâai eu un peu de mal Ă mây mettre lors des premiĂšres lignes !
« Je suis dâAfrique et des AmĂ©riques,
dâAsie et dâEurope. Jâassume mes multiples ascendances comme autant de racines
irriguant mon identitĂ© et mes dispositions Ă lâaltĂ©ritĂ©. Je contiens le monde
et le monde me porte. MĂȘme si, effrayĂ© de tant de reflets, ce monde fait choix
parfois de me croire invisible. »
On parle aujourdâhui de ce qui devrait selon moi ĂȘtre un classique, « Lâesclavage racontĂ© Ă ma fille » de Christiane Taubira quâon ne prĂ©sente plus. Ministre de la Justice, garde des Sceaux de 2012 Ă 2016, elle est aussi lâauteure de plusieurs autres ouvrages.
Câest en Ćuvrant au sein du gouvernement français et en tant que dĂ©putĂ©e en France et au niveau europĂ©en entre 1993 et 2012 quâelle a notamment fait reconnaitre lĂ©galement le mariage entre deux personnes de mĂȘme sexe puis la traite et lâesclavage comme crimes contre lâhumanitĂ©. Non sans concessions ni critiques, comme elle lâexplique dans ce livre paru en 2016 qui contient tant dâinformations que la voie scolaire ne nous a jamais chuchotĂ©e. Mais justement, la Loi Taubira du 21 mai 2001, dont quelques secrets sont Ă©voquĂ©s Ă travers le livre, tentera de faire Ă©voluer les choses.
Sujet grave, lâesclavage pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme sujet appartenant au passĂ© mais pourtant il nâa jamais Ă©tĂ© autant dâactualitĂ© tant ses rĂ©percussions sont visibles aujourdâhui. A travers une conversation construite entre questions censĂ©es dâune jeune fille curieuse et rĂ©ponses plutĂŽt honnĂȘtes dâun adulte Ă©clairĂ©, sont Ă©voquĂ©s tour Ă tour la notion mĂȘme de lâesclavage, dâici et ailleurs, dâaujourdâhui et dâhier, son contexte et ses rĂ©percussions. On aborde Ă©galement la prĂ©sence fĂ©minine dans cette partie de lâHistoire, les formes de contestations, la question si complexe de la notion de rĂ©paration, en faisant parfois le parallĂšle avec la « terre des libertĂ©s », les USA, sans oublier la remise en cause des hĂ©ros de France quâon nous prĂ©sente Ă lâĂ©cole mais qui sâavĂšrent souvent problĂ©matiques lorsquâon se place de lâautre cĂŽtĂ©.
« Ce nâest introduire aucune
hiérarchie entre le génocide juif et la déportation des esclaves, aucune
Ă©chelle dans la souffrance humaine, que dâinscrire dans la loi ce que les
historiens considĂšrent comme le crime ayant fait le plus grand nombre de
victimes sur la période la plus longue. Les crispations peuvent
malencontreusement nourrir une concurrence malsaine et dangereuse entre les
victimes des crimes contre lâhumanitĂ©. »
Jâai beaucoup aimĂ© comment est traitĂ© le fait quâil y est eu un procĂšs contre les victimes de la Shoah et que le traitement rĂ©servĂ© aux victimes de la traite et de lâesclavage ne soit pas Ă la hauteur. Câest un sujet dont je nâavais jamais vraiment eu la rĂ©ponse depuis le collĂšge oĂč je dĂ©couvrais avec effroi ce qui sây Ă©tait dĂ©roulĂ© mais nâavait aucun souvenir dâavoir Ă©voquĂ© lâesclavage si ce nâest le commerce triangulaire, comme si cette fameuse hiĂ©rarchie des souffrances Ă©tait avĂ©rĂ©e. Mes parents Ă©tant nĂ©s aux Antilles et ayant des ascendants dĂ©portĂ©s, câest Ă la maison quâon mâa Ă©duquĂ©e sur le sujet puis quelques films et documentaires ont apportĂ©s des Ă©lĂ©ments complĂ©mentaires. Mais quand certains ne savent situer les dĂ©partements dâOutre Mer et pensent que ses habitants se dĂ©placent en chevaux, on se rend compte que l'Ă©ducation est la clef.
Alors que la France ferme les yeux sur une partie de son Histoire et refuse toujours dâaccepter les richesses que le multiculturalisme apporte, je recommande vivement ce livre exigeant, riche et parfois poĂ©tique, Ă©tayĂ© par de nombreuses rĂ©fĂ©rences, qui sâavĂšre nĂ©cessaire tant il offre un spectre large de lâHistoire de la France qui devrait ĂȘtre considĂ©rĂ© davantage, surtout aujourdâhui alors quâon essai tant de diviser, en stigmatisant certaines populations, plutĂŽt quâunir.
« Et de temps en temps, une tragédie
vient nous rappeler que nous ne parlons hĂ©las pas que du passĂ©, que lâignoble
tendance Ă opprimer son prochain pour en tirer profit persiste en de nombreux
endroits du globe, quâaucun dâentre nous ne peut sâen affranchir, mĂȘme en tant
quâĂȘtres humains, frĂšres des hommes, ni en tant que consommateurs complices
malgré nous, ni encore moins en tant que responsables politiques, comptables de
lâĂ©tat du monde. »
Jâai moins aimĂ©, comme je lâindiquais plus haut, la lecture un peu difficile au premier abord avec parfois de trĂšs longues phrases mais on sây habitue car finalement câest lâeffort de clartĂ© et de prĂ©cision des faits que lâon retient.
Jâai apprĂ©ciĂ© apprendre tout un tas dâĂ©lĂ©ments nouveaux sur le sujet ainsi que les ponts avec lâHistoire des Etats Unis qui mâa toujours passionnĂ©e. Câest parfaitement argumentĂ© et ouvre la porte vers dâautres lectures, notamment AimĂ© Cesaire ou Frantz Fanon. On en ressort Ă©duquĂ© et en possession dâun nouveau savoir, plus armĂ©, comme si la vĂ©ritĂ© Ă©tait enfin Ă notre portĂ©e. Une version amĂ©ricaine serait bienvenue dâailleurs ! AssurĂ©ment, je le recommanderai Ă ma fille dâici quelques annĂ©es quand elle abordera le sujet Ă lâĂ©cole.
Je l'ajoute Ă ma liste !!!
RépondreSupprimerGénial! Bonne lecture!
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